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18/03/2009

_La science-fiction : Lecture et poétique d'un genre littéraire_

La science-fiction : Lecture et poétique d'un genre littéraire : Irène LANGLET : Armand Colin (Collection U) : 2006 : ISBN-10 2-200-26-921-8 : 303 pages (y compris index sommaire et bibliographie) : 25 Euros pour un TP pas super solide.

La science-fiction (Langlet).jpg

Ce livre est dû à la plume d'une universitaire française, même si elle a suivi une partie de son cursus au Canada, pays très en pointe en ce qui concerne l'étude de la SF dans le cursus littéraire 'classique' et qui nous a donné plusieurs pointures. On peut citer (entre autres) Saint-Gelais, Suvin le grand ancêtre ou Gouanvic.

Cet ouvrage est organisé en trois parties principales :

1) "Outils de mécanique science fictionnelle", une partie à l'approche très originale puisqu'elle se concentre sur les outils littéraires utilisés par la SF dans sa stratégie de 'cognitive estrangement' (le terme inventé par Suvin) : paratexte, mots valises, appositons, usage du "je", fix-up, etc... Cette partie consacrée donc aux techniques d'écriture proprement dites fait une centaine de pages.

2) "Pour une histoire littéraire de la science-fiction" qui essaie de donner une autre histoire de la SF que celle de ses thèmes ou de sa socio-économie, illustrée par une chronologie schématique en annexe et qui s'ouvre sur une réflexion sur les rapports entre science et SF.

3) "Dans la machine science fictionnelle" qui part de 4 romans (L'usage des armes, Neuromancien, Des milliards de tapis de cheveux & Chroniques du pays de mères) qui sont utilisés comme bases pour aborder certains types de SF (le space opéra, le cyberpunk) et diverses problématiques (la datation interne des oeuvres).

Neuromancien (La Découverte 1985).jpg

Dans les nombreuses annexes on notera la chronologie de la SF évoquée plus haut, les synopsis des romans de la troisième partie ainsi que des extraits en VO & VF, un glossaire, une bibliographie secondaire (y compris sites web) et un index.

 

Globalement le livre à la fois original dans son approche (la première partie) et fait une lecture serrée des oeuvres étudiées. Le jargon de la technique narritive est certes présent (homodiégétique, hétérodiégétique) mais est suffisamment bien expliqué pour les profanes dans mon genre (y compris par le glossaire). La réflexion théorique est d'excellent niveau et s'appuie sur des bases saines.

Toutefois, je ne serais pas fidèle à ma réputation si je n'y avais pas trouvé matière à contestation/discussion/chipotage, à la fois dans les détails et dans ses orientations.

Dans le désordre :

- Il existe un certain nombre d'erreurs factuelles dans les données bibliographiques (par exemple, le cycle du non-A est daté de 1948) ou d'affirmation un peu légères (du style "le cycle de l'histoire du futur ne comporte aucune date dans ses titres", qui oublie Revolt in 2100 qui n'est certes pas le titre d'une nouvelle mais est celui d'un recueil) ou de données incomplètes (une comparaison pertinente des couvertures du Banks omet de préciser quelles éditions sont évoquées, ce qui pourrait laisser croire que toutes les éditions VO & VF ont la même couverture, ce qui n'est pas le cas) ou fausses (une troisième version du C&N est évoquée).

Revolt in 2100 (Signet).jpg

- Plus étonnant et signe d'une recherche un peu "light", cette affirmation (note 1 de la page 231) que je ne peux resister au plaisir de citer : "L'ordre des nouvelles (de l'anthologie Histoires de voyages dans le temps) est celui de l'édition disponible en librairie datant de 1987. Cet ordre modifie légèrement celui de la première édition, à la date du copyright (1975). Pour les comparer voir le site d'amateur indexant les deux tables des matières, "index SF", URL : http://sf.marseille.mecreant.org/ouvrage/ouv000098.". Une rapide recherche sur le fameux site en question montre que, effectivement, l'ordre semble différent pour les deux éditions, même s'il peut sembler étrangement alphabétique pour la première édition. Une recherche plus poussé dans les différentes impressions de l'ouvrage en question permet de voir que l'ordre est strictement le même dans les deux version citées. L'affirmation de Langlet est donc factuellement fausse, faute d'une recherche suffisamment poussée. J'ai relevé ce point parce que l'ordre des nouvelles est une des bases de l'argumentation de l'auteur ("la complexité va croissant"). Voilà du coup une erreur/absence de 'sort' dans une page web promue au rang de fait avéré et, en quelque sorte, légitimée par l'académie.

- D'une façon générale, j'ai une impression curieuse quand à la profondeur des recherches et la quantité d'éléments bibliographiques vraiment consultés avant l'écriture de cet ouvrage. En effet, l'essentiel des citations et exemples qui appuient le texte provient de seulement trois sources principales (excellentes au demeurant) : L'empire du pseudo de Saint-Gelais, le Clute & Nicholls (The encylopedia of science fiction) et les oeuvres complètes de Gérard Klein telles que l'on peut les trouver sur le site de XLII (donc plutôt une collection de préfaces). Pour un genre aussi vaste et étudié que la SF, cette concentration des sources sur un nombre limité d'items parait assez surprenante. Ce manque de matière est d'autant plus frappant quand on consulte la bibliographie et que l'on y trouve des livres nullissimes comme le Manfrédo chez Le cavalier bleu ou l'infâme Gattégno, ou des chefs d'oeuvres d'approximation et d'erreurs comme le Colson & Ruaud ou le Barets. Avec de mauvais outils comme ceux-là, la qualité du discours ne peut que s'en ressentir. C'est effectivement ce qui se passe avec parfois une nette impression de flou, un manque d'originalité dans certaines analyses ou au moins une absence d'éclairages contradictoires.

L'empire du pseudo.jpg

- Du coup, cette faiblesse du coté des sources primaires explique probablement pourquoi la deuxième partie m'a un peu irrité. Si l'on veut ré-écrire correctement l'histoire de la SF comme veut le faire Langlet, il faut partir sur des bases solides et avoir une vue synthétique, ce qui n'est manifestement pas le cas. Il est vrai que la critique d'un graphique des évènements marquants est toujours subjective et discutable, mais, par exemple, trouver que le seul évènement SF marquant en Grande-Bretagne entre 1990 et 1995 est la tentative (rapidement avortée) de ressortir la revue New Worlds, témoigne d'une vision du genre que l'on peut qualifier de spéciale (spécieuse ?). Langlet n'a pas (ou n'a pas trouvé) le bagage nécessaire pour présenter une chronologie satisfaisante. A mon sens, elle aurait pu exciser cette partie qui est à la fois peu réaliste, atomisée dans son déroulé (qui saute du coq à l'âne) et peu convaincante.

- Les quatres oeuvres étudiés sont (je cite) : "...à la fin du parcours d'environ cent ans qu'a suivi la SF...". Si le choix des oeuvres est peu discutable dans l'absolu (ce sont de bons textes), il a été visiblement fait dans l'optique de proposer une représentation acceptable de la SF. On notera la répartition géographique des auteurs, qui si elle est très 'correcte' et 'cosmopolite' (un écossais, un canadien/américain, un allemand et une franco-canadienne) est assez peu représentative du paysage géographique (par nationalité des auteurs) du genre, même si l'on ne prend en compte que les titres existant en traduction française. Ce point de détail évacué, je reste néanmoins sceptique sur le fait que des oeuvres de 1984, 1990, 1995 & 1999 (dans sa version révisée pour la dernière) puissent être valablement prises comme réprésentatives de "l'état de l'art" de la SF. Pour un livre écrit en 2006 cela fait un gouffre de 22 ans avec Neuromancien. Certes, il faut le temps pour mener une analyse aussi poussée et aussi pertinente que celle là mais la date d'expiration et surtout la relevance des ces oeuvres vis à vis de la SF écrite et publiée de nos jours sont largement dépassées. Du coup, les leçons que l'ont peu tirer de ces romans (thématique, technique...), même si elles restent pertinentes, ne sont pas applicables pour comprendre et décrypter la SF actuelle.

Use of weapons (Orbit 1990).jpg

Que ces quelques critiques ne vous empêchent toutefois pas d'acheter ce livre. Il représente une somme de travail non négligeable et constitue un ouvrage qui est parfaitement digne de figurer parmi les ouvrages de référence majeurs en VF.

Note GHOR : 3 étoiles

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