10/02/2025
_The Plurality of Imaginary Worlds_
The Plurality of Imaginary Worlds : The Evolution of French Roman Scientifique : Brian STABLEFORD : 2016 (pour l'EO, POD sans date pour cette édition) : Black Coat Press : ISBN-13 978-1-61227-503-1 (la fiche ISFDB du titre) : 671 pages (y compris annexes, index et bibliographie) : coûte 49.95 USD pour un tp illustré en n&b, disponible chez l'éditeur .
"Où était passée la Science Fiction Française avant la guerre ?" C'est la question que se posent les historiens du genre en constatant son éclipse dans notre pays entre Jules Verne (un de ses fondateurs) et l'arrivée de la SF US annoncée par le célèbre article de Boris Vian en 1951. Alors que le genre acquérait un nom et se structurait (avec ses auteurs spécifiques, un public identifié et un système de parutions lui étant destinées) dans les pays anglo-saxons, rien de tel en France. Même si certains (Lehman et ses disciples) ont voulu nous faire croire à une uchronie où la SFF (en tant que mouvement/genre/école/catégorie identifiable) existait vraiment, force est de constater que personne n'en a jamais trouvé de traces convaincantes. Tout ce que l'on a pu exhumer, c'est un certain nombre de concepts qui n'ont jamais vraiment pris et souvent liés à un unique intervenant (Maurice Renard par exemple) : "roman expérimental", "fantaisie scientifique", "merveilleux scientifique", "roman parascientifique" ou "roman scientifique". C'est sous ce dernier label que Stableford a décidé de regrouper la SFF d'avant la 2GM. Profitant de son travail de traducteur infatigable de textes de proto-SF francophone d'avant 1950 tels que parus chez le même éditeur, il a donc entrepris de construire une histoire de l'évolution du "roman scientifique" (lire "de la science fiction") français (francophone).
C'est donc le résultat de cette reconstruction historique qu'il nous livre dans cet ouvrage dense qui va des premiers "voyages imaginaires" ou "contes philosophiques" (encore d'autres termes à rajouter à la liste) de la Renaissance à la collection Les Hypermondes démarrée à l'aube du second conflit mondial. Pour ce faire, Stableford s'est plongé dans une masse de textes (et leur paratexte) parfois difficilement trouvables (car parus uniquement dans des magazines disparus et consultables seulement via la BNF), un travail acharné et remarquable (sur lequel certains "historiens" du genre pourraient prendre exemple). Après une indispensable introduction sur les questions de terminologie et de taxonomie, l'ouvrage est organisé de façon classique par ordre chronologique en six grands chapitres eux-mêmes subdivisés en plusieurs parties. Le tout est illustré de vignettes des couvertures des livres évoqués. On notera la présence d'un chronologie des textes, d'une bibliographie (avec la plupart des textes de référence existants en VF) et d'un index. On a aussi (publicité gratuite) une liste des textes référencés publiés par le même éditeur.
Indépendamment du travail de fourmi mené par Stableford qu'il faut admirer, la question est : "Est-il crédible dans sa tentative de découvrir l'existence en France d'un genre/mouvement/école qui se serait appelé le Roman Scientifique ?". En ce qui me concerne, j'avoue n'être toujours pas convaincu. Ce que nous livre Stableford est certes un vaste (+ de 300) catalogue de textes de SF/proto-SF, mais leur inscription dans un genre à l'existence documentée et continue n'est pas, à mon avis, clairement établie. En gros, je trouve que Stableford plaque sur un ensemble de textes identifiés une continuité, une démarche qui n'est pas attestée par la réalité et qui fait que le "Roman Scientifique" de son sous-titre reste, AMHA, une pure construction intellectuelle à postériori. Pour filer la métaphore mathématique, un ensemble de titres discrets ne peut pas vraiment constituer un continuum.
Malgré tout, le livre est une mine d'information et de pistes à explorer. Il est aussi fascinant de voir combien de thèmes et d'idées de la SF anglo-saxonne peuvent être reliés à des textes français (mais il s'ait là plus d'évolution parallèle que de plagiat). On pourrait presque le voir comme un Versins (c'est assez long à lire, 600 pages serrées) mais en nettement plus détaillé (au niveau des intrigues mais aussi du contexte littéraire ou éditorial des œuvres) et en pratique beaucoup plus facile et agréable à lire qu'une encyclopédie. C'est donc une réussite et un ouvrage indispensable pour qui veut se pencher sur la proto-SF française ou qui voudrait se lancer dans la lecture de cette masse de textes dont la plupart sont probablement illisibles de nos jours.
Note GHOR : 3 étoiles (pas forcément pour la thèse centrale)
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Commentaires
Quel dommage qu'il n'existe aucune traduction de ce texte.
600 pages bien tassés sur le sujet, et rejeter l'idée qu'un mouvement, quel que soit le nom qu'on lui donne, n'est pas crédible, relève peut être de la mauvaise fois, ou de la maladresse connaissant ton amour pour la SF française
Écrit par : Laurent | 20/02/2025
En ce qui me concerne, la démarche de Stableford est effectivement abusive (ou au minimum légère). C'est un peu comme si, en se basant sur _Le maître du monde_ (Verne) ou _L'avion fantastique_ (Vallerey), on développait l'idée que le techno-thriller existait en France au début du siècle.
Pas de producteurs, de lectorat, d'amateurs, de collections (ou de magazines) dédiés, d'espaces de discussion => pas de genre "SF".
Écrit par : Hervé | 20/02/2025
Peut être que, comme tu le dit ce n'est pas clairement établis, mais on peut imaginer les balbutiements d'un mouvement. Je me demande si ton raisonnement n'est pas applicable pour cette période a l'ensemble des littératures de genre.
Écrit par : Laurent | 20/02/2025
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