12/12/2008
_Science-Fiction : Les frontières de la modernité_
Science-Fiction : Les frontières de la modernité : Raphaël COLSON & André-François RUAUD : Mnémos : 2008 : ISBN-13 978-2-35408-044-0 : 349 pages (y compris biblio et index) : 24 Euros en neuf pour un TP (solidité à voir).
Cet ouvrage est une histoire de la SF qui commence au XVIème et se termine au XXIème. Elle couvre tous les médias associés au genre (textes, BD, comics, TV, Jeux, Manga, Cinéma, DA...) et fait le choix de largement insérer la SF dans le contexte historico-géographico-socio-économique des époques et des lieux de production.
Il est donc logiquement organisé de façon (globalement) chronologique en quatre parties principales :
- Les précurseurs (XVI, XVII & XVIIIèmes).
- L'imaginaire européen (XIXème).
- L'imaginaire américain (XXème).
- L'imaginaire asiatique ? (XXIème).
Chaque partie est ensuite découpée d'une façon peu claire, d'abord sur des critères temporels, puis géographiques (par aire de production) et parfois thématiques.
Suivent une bibliographie (sommaire et écrite gros) et un index. On notera la présentation du texte sur deux colonnes (sauf bizarrement les seules pages 224 & 228) agrémentée d'illustrations N&B de taille variable, parfois non légendées et/ou non attribuées aux illustrateurs (pour les couvertures de livres).
Voilà un livre qui commence mal. A la fois sur le plan formel puisque dès la première page, on a une jolie petite coquille avec une citation de FrederiCk Pohl (il n'y a guère que les Pdf qui font cette erreur), mais aussi sur le plan de l'esprit puisque les auteurs nous affirment (sans rire) qu'ils sont les premiers à s'être rendus compte que la SF est un genre multi-média et qu'ils vont donc nous proposer le premier ouvrage qui aborde la SF dans sa globalité. Ce petit liminaire est utile parce qu'il permet bien de percevoir la tonalité globale du livre, un mélange de didactisme parfois pédant et d'approximations.
Pêle-mêle, quelques (je n'ai pas tout relevé) points sur cet ouvrage :
1) Pas cher ?
Un commercial bénévole des éditions Mnémos en a fait la réclame dans pas mal d'endroits du net en mettant en avant son prix attractif. 24 euros pour un TP, c'est déjà un niveau de prix non négligeable (le HC de CSICSERY-RONAY est dans les mêmes eaux), surtout pour un livre qui s'abîme assez facilement (le mien est déjà rayé). Mais en fait, ce qui m'a fortement défrisé est le fait que ce livre reprenne de très larges pans du précédent opus du couple Colson & Ruaud, La SF, une littérature du réel (voir http://groups.google.fr/group/fr.rec.arts.sf/msg/c0021b1d...).
Cette reprise concerne essentiellement la 3ème partie (la SF du XXème siècle) et est faite quasiment mot à mot, recopiant d'ailleurs telles quelles les erreurs (le couplet sur le Ace D-118, voir http://groups.google.fr/group/fr.rec.arts.sf/msg/a136debf...) ou coquilles que j'ai déjà relevées (le fameux Gordon VON Gelder ou le magazine Starling). On a évidemment le droit de réutiliser ses propres travaux, mais la simple honnêteté voudrait que l'on en informe l'acheteur, chose qui n'apparaît nulle part, ni sur le livre ni dans le buzz autour de lui.
Du coup et pour s'amuser, on pourrait rajouter aux 24 Euros une partie du prix de l'ouvrage qui est incluse dedans puisque l'on a déjà payé pour ce texte, celà nous mène dans les 30 Euros, tarif nettement moins réaliste.
2) Ça parle de quoi ?
Le thème du livre étant la Science-Fiction (c'est en tout cas ce qui est écrit dessus), je trouve que l'équilibre même du livre est bancal.
En effet, il se divise (en terme de quantité de texte) en trois tiers : un tiers de contextualisation (historico-géographico-socio-économique), un tiers consacré à la proto-SF (avant l'invention du terme) et un tiers à la SF (après l'invention du terme).
Le premier tiers est largement superflu et devient même pénible à lire. Même s'il est souhaitable de placer la SF dans son environnement sociétal, les auteurs en font trop, avec (c'est juste un exemple) des pages entières consacrées à la politique du gouvernement japonais en matière de recherche où l'on peut même trouver le pourcentage du territoire japonais raccordé à l'ADSL en 2006 & 1995 (86% et 15% pour les curieux). On croirait parfois lire des articles entiers de wikipedia à chaque début de chapitre. C'est sûrement très bien pour la culture générale du lecteur (bien que ce soit très grossier quand même, on ne résume pas 5 siècles d'histoire en 50 pages), mais la proportion est trop importante pour un ouvrage sur le genre.
Le deuxième tiers se consacre à la proto-SF et lui offre la moitié de la pagination (on arrive en 1914 à la page 144) suivant le canevas habituel : More-blabla-Kepler-blabla-Mercier-blabla-Shelley-blabla-Wells-blabla-Verne. Il y a à un moment une justification assez savoureuse pour l'inclusion de tant de textes que personne n'a lu et ne lira jamais (je cite de tête) : "c'est quand même une masse de 500 ouvrages sur 30 ans", chiffre à rapporter aux 2000 livres de SF/F littéraire parus par an chez les seuls anglo-saxons. C'est vraiment super la proto-SF, mais c'est justement pas de la SF (d'où son nom) et c'est surtout sans aucun intérêt sur une telle longueur consacrée à des oeuvres inaccessibles (et certainement illisibles en l'état).
Ces deux tiers phagocytent malheureusement donc le troisième tiers (la SF après la 1ère GM en gros), pourtant celui qui est le plus pertinent pour l'étude et la perception du genre.
3) La SF se réduit-elle aux Moutons ?
On peut légitimement se poser cette question. En effet, ce livre fourmille littéralement de références à des ouvrages de cet éditeur. A la louche, une note sur deux (sur la SF) fait référence à un livre des Moutons (divers numéros de Fiction, le RAH, l'Anderson et le PKD), ce qui, indépendamment de la qualité de ces ouvrages, est loin de refléter la réalité de la réflexion sur la SF. Ce problème d'auto-promotion (pour ceux qui ne le savent pas, les moutons sont justement une firme dirigée par les deux co-auteurs, merci rmd) était déjà présent dans le précédent ouvrage mais il atteint ici des proportions inouïes.
Cela nous vaut des sauts chronologiques surprenants : Fournaise la novella de Kelly (2005, éditée par les moutons) est placée dans la période 1977-1982 sans doute pour pouvoir être citée. Cela amène aussi à des inclusions insistantes : Coney (un auteur mouton aussi) réussit à être cité à deux endroits dans le texte (dont une fois d'une façon fort peu logique) avec en prime la mention de son livre chez l'éditeur (une soi-disant intégrale qui ne l'est bien sûr pas). J'ai même fini par comprendre pourquoi on parlait tant de zombies dans ce livre, alors que c'est un concept qui n'est pas vraiment central en SF : SURPRISE ! il sort un ouvrage sur ce thème en 2009 chez les moutons et dont un des auteurs est Colson. Que l'on souhaite développer son entreprise est normal mais un tel manque de subtilité est un peu méprisant pour le client.
4) Du brouillard ?
L'impression générale de cet ouvrage est celle d'un flou permanent, avec des idées peu claires (par exemple, le concept de SF comme littérature de la civilisation qui fonde le livre est abandonné à mi-parcours) et des affirmations toujours sujettes à caution dans leur formulation ou leurs éléments soi-disant factuels.
Pour essayer d'expliquer ce que j'entends par là, je vais prendre un exemple, avec cet extrait (page 225) :
A en croire Stan Barets, "Cordwainer Smith est l'auteur favori de tous les vrais amateurs de SF, le nom que se transmettent en secret tous les vrais aficionados". C'était peut-être vrai lorsqu'il écrivait ces lignes (173, Le science-fictionnaire, Denoël, 1994), mais depuis sont parues une intégrale américaine chez NESFA, une première intégrale française chez Pocket puis une autre chez Folio-SF, et l'on peut donc raisonnablement supposer que Smith n'est plus un tel secret...
On relèvera donc :
- citation de Barets = première erreur (^_^).
- erreur de Barets qui néglige (il écrit cela en 1994), l'édition LDP (1980), l'édition Pocket (1987) et surtout la parution (partielle) chez France Loisirs. Un écrivain secret paru chez France Loisirs, c'est un concept puissant.
- Colson/Ruaud citent l'édition Pocket et semblent la penser comme postérieure à Barets, ce qui est faux (1987 pour l'EO non argentée, je le répète).
- l'intégrale NESFA (tirage limité, organisation de fans) date de 1993 (pour le recueil des nouvelles). Elle est donc elle ausi antérieure à la citation de Barets. Mais c'est typiquement un produit qui ne sort jamais du cercle des aficionados, on ne peut donc se baser sur elle pour soutenir l'idée d'un retour à la popularité de Smith.
- par contre Colson/Ruaud oublient (la connaissent-ils) à la fois la disponibilité, certes partielle mais attestée, de Smith en VO pendant des années (Ace, Del Rey, Sphere...) et surtout la publication de Smith par Baen cette année qui va toucher un public infiniment plus large que celui de NESFA.
Ce petit paragraphe est donc le mélange d'une citation inexacte à la base (donc non vérifiée par les repreneurs) et d'oublis ou d'erreurs d'analyse supplémentaires propres au couple Colson/Ruaud. Du n'importe quoi présenté comme du solide. C'est justement ce sentiment que j'ai eu pendant une grande partie de la lecture.
5) Et les goodies de Hervé ?
Éprouvant toujours un plaisir vicieux à traquer les erreurs dans les ouvrages de référence, je dois avouer qu'il y a de quoi se régaler ici.
Voici donc une courte sélection :
- De la petite coquille, style "mini-mock" (la voiture de la série Le prisonnier) et autres.
- De la grosse coquille qui montre que les titres ne sont pas compris : Erewohn qui du coup n'est plus l'inverse de Nowhere (bétîse de ma part), ou le titre du roman de Merrill qui passe de Shadows on the hearth (et les associations voulues avec la sphère domestique) à Shadows on the earth.
- Une chronologie à la PKD : R C Wilson est placé dans la période 1947-1957, l'histoire du futur de RAH est datée 1950-1963
- Des affirmations idiotes : Blue thunder (le film et la série TV mettant en scène l'hélicoptère homonyme, en VF Tonnerre de feu) traitant des extraterrestres, Doctor who jamais diffusé en France (diffusé en 1989 sur TF1 et passant en ce moment sur France 4 et ce depuis quelques années), Zenna Henderson comme, je cite, "une des toutes premières plumes féminines", merci pour les centaines de femmes qui ont écrit de la SF avant elle, une jolie confusion (avec coquille en plus) entre deux livres d'Or en note de page 224 (entre celui d'Orbit et celui propre à Knight que les auteurs ont l'air de croire identiques).
- Des défis lancés aux lecteurs que les auteurs sont sûrs de perdre (celui-ci est déjà présent dans l'ouvrage précédent) : "Examinez n'importe quel numéro récent de Analog pour vérifier que la novella est un format courant". Je l'ai fait : sur 2008 (10 numéros et plus de 60 textes), il y a en tout et pour tout 4 novellas. Vous avez donc moins d'une chance sur deux de tomber sur ce fameux "format courant". Encore une bien belle affirmation, bien autoritaire qui, à l'examen des faits, se révèle être une pure invention.
On va encore m'accuser de m'acharner sur un ouvrage en VF, mais cette tentative d'une histoire de la SF s'enlise rapidement, en particulier dans l'histoire tout court et la préhistoire du genre. Pas assez rigoureux, mal construit, trop bavard, cet ouvrage marque toutefois un progrès par rapport à son prédécesseur du même duo, en particulier par ses apports sur la SF japonaise.
A ce prix, il vaut quand même attendre de trouver un SP d'occase.
Note GHOR : 1 étoile
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23/09/2008
_The history of science fiction_
The history of science fiction : Adam ROBERTS : Palgrave (série Palgrave histories of literature) : 2007 : ill Photo de Thierry VIVES : ISBN-13 978-0-230-54691-2 : 368 pages (y compris index et biblio et annexes) : 17 Euros 28 port compris pour un TP.
Nous devons cet ouvrage à d'Adam ROBERTS, un personnage qui est à la fois un écrivain de SF (sous son nom pour des oeuvres sérieuses et non-traduites à l'exception de Gradisil, sous divers pseudos pour des oeuvres parodiques ou opportunistes et bizzarement traduites) doublé d'un professeur d'université et d'un théoricien de la SF.
Cet encrage dans les deux camps lui permet donc de s'attaquer à l'un des serpents de mer des ouvrages de référence, à savoir la rédaction d'une histoire générale de la SF. Cet exercice est tellement perilleux qu'il reste rarissime sous un forme autre que schématique (c'est à dire parfois simplifiée à l'excès comme le Miller) les meilleurs réprésentants de cette espèce étant à ce jour étant le Aldiss, le Del Rey, le Gunn et le Sadoul (le seul en Français).
Roberts divise donc son histoire de la SF en 14+1 chapitres, le premier étant un peu à part puisque sacrifiant aux habituels exercices imposés typiques de tels ouvrages, à savoir tenter de répondre aux questions classiques "Qu'est-ce que la SF" et "Quand commence-t-elle ?".
Les chapitres (d'une taille équivalente, entre 20 et 30 pages) traitent chacun d'une période donnée (de -400 à 1600, le XVIIème, les pulps, 1970-1990 etc...) et se concentrent sur la SF écrite à l'exception de deux d'entre eux qui traitent spécifiquement la TV, le cinéma et les autres formes que peuvent prendre la SF.
Il y a en fait dans cet ouvrage deux livres différents d'une taille équivalente :
1) le premier est une histoire de la SF de 400 avant JC (puisque Roberts commence la SF avec les premiers textes grecs) à 1926. Cette partie fait donc 170 pages et pourrait être qualifiée de "Versinesque" en ce sens qu'elle traite d'à peu près tous les ouvarges conjecturaux connus, fussent-ils parus en Croatie même s'ils n'ont jamais eu aucune influence mesurable sur le genre. C'est fort érudit (citations latines, russes, françaises) et certainement très pointu (trop ambitieusement parfois comme lorsque le titre Sans dessus-dessous de Verne est présenté à tort comme un jeu de mot sur une expression française bien connue : Sens dessous-dessous -sic-) mais les Westfahliens comme moi pourront trouver cette litanie de voyages extraordinaires (parfois strictement inconnus) d'une relevance et d'une portée limitée en ce qui concerne l'histoire et l'évolution du genre.
Nettement plus intéressante est la thèse qui sous-tend cette partie, à savoir l'opposition entre la Fantasy et la SF suivant des lignes religieuses. En gros (je schématise), la Fantasy serait plutôt issue d'une vision catholique des choses (plus mystique) et la SF d'une vision plus protestante (plus pragmatique), et ce indépendamment des convictions religieuses des auteurs. Cette thèse est plutôt séduisante et, quand Roberts la creuse à l'aide d'exemples (ce qui n'est pas tout le temps le cas), non dénuée d'une validité apparente.
2) le second est une histoire de la SF "moderne" des pulps à 2000 et c'est cette partie qui me pose problème.
En effet, il me parait assez illusoire de vouloir écrire l'histoire de la SF sur ces 80 dernières années en à peine 170 pages, sauf à se retrouver à ne faire que du survol.
Il est d'ailleurs symptomatique de voir que Ashley, face à une problématique similaire bien que plus réduite (puisque portant uniquement sur les magazines), s'est vu contraint d'augementer le nombre de tomes de son histoire des magazines de SF et de raccourcir l'intervalle traité par chacun tant la matière est importante et riche.
Les derniers chapitres de cet ouvrage sont donc parcourus au pas de charge (aucune mention du rôle ou même de l'existence des anthologies originales des années 70-90 par exemple et pour rester dans le domaine couvert par Ashley) et sont de plus plombés par un mode de narration qui ne suit pas un ordre chronologique plus ou moins strict comme on l'attendrait d'une histoire de la SF. On a plutôt droit à une suite de fiches auteurs (pour l'âge d'or Asimov, Heinlein, Vance, Van Vogt, Anderson etc...) qui d'ailleurs ne sont même pas rencontrées dans l'ordre chronologique de l'apparition de leur sujet sur la scène SF.
Du coup, cette seconde partie ne se lit pas comme une histoire de la SF mais comme un collage d'entrées d'encyclopédie (auteurs, mouvements, médias...) mises bout à bout. Il est donc très difficile pour un lecteur novice dans le genre de percevoir un quelquonque mouvement d'ensemble de la SF puisque des textes (et des films et des séries TV) contemporains vont être cités dans divers chapitres, lors
de l'examen de leurs auteurs et non placés dans le continuum de l'évolution du genre.
Le choix d'un comparativement plus faible espace dévolu aux 80 dernières années génère alors le problème des nombreux oublis. Par exemple des auteurs comme Clement, Farmer ou Russell, pourtant au coeur du genre se trouvent ne jamais être mentionnés alors qu'une large place est donnée à des auteurs un peu "branchouilles" (Pynchon, Roth, Atwood..). Ceci pose alors la question de la représentativité d'une histoire du genre dotée d'une mémoire aussi sélective.
En plus, des chipoteurs comme moi bondiront à la phrase sur Jack WILLIAMSON : "I know of no complete bibliography of his work", affirmation sympathique pour Hauptmann ou à la citation comme source de référence d'un aussi remarquable ouvrage que le Gattégno.
Ce livre n'est donc pas la très attendue "Histoire de la SF" définitive et actualisée même s'il peut prétendre à ce titre pour la période anté-pulps. Avant d'accabler l'auteur, on peut aussi se demander (et Roberts y fait allusion) si une histoire de la SF moderne détaillée est un projet faisable et surtout commercialisable (voir la stagnation du projet SFX3). Quoi qu'il en soit, cette hsitoire de la SF là n'offre pas grand chose de plus qu'une encyclopédie "normale" (celle de D'Ammassa pour en choisir une récente) et, étonnant paradoxe, n'offre absolument pas du fait même de sa structure, une perspective historique.
Note GHOR : 2 étoiles (pour la première partie et la thèse originale)
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