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25/05/2009

_Space Opéra ! : L'imaginaire spatial avant 1977_

Space Opéra ! : L'imaginaire spatial avant 1977 : André-François RUAUD & Vivian AMALRIC (et al.) : Les Moutons électriques (série La bibliothèque des miroirs) : 2009 : ISBN-13 978-2-915792-72-7 : 426 pages (y compris index et bibliographie) : 28 Euros pour un TP illustré (N&B + 4 pages couleurs) avec couverture à rabats (en neuf chez l'éditeur http://www.moutons-electriques.fr/).

Space opéra !.jpg

Cet ouvrage a pour objectif de dresser un panorama du "Space Opéra" jusqu'en 1977, cette date (celle de la sortie de Star wars) ayant été choisie comme marquant une rupture dans une catégorie emblématique de la SF. Cette catégorie, qui existe depuis les débuts du genre, est ici globalement prise (cf. le sous titre) comme celle des aventures dans l'espace, par opposition au Planet Opéra qui se concentre sur un décor planétaire précis.

Il se présente sous la forme d'une vingtaine de chapitres rarement inédits organisés dans un ordre vaguement chronologique et confiés à des auteurs différents (Nolane, Brèque, Wagner...) avec une contribution majoritaire du duo Ruaud/Amalric qui signe plus de la moitié de l'ouvrage. Certains chapitres sont plutôt génériques et abordent soit un thème (les serials) soit un domaine (les comics) mais la plupart des interventions se concentrent sur un auteur (de Smith à Delany) ou une série (littéraire comme Perry Rhodan ou télévisuelles comme Doctor Who ou Star Trek).

L'ensemble est illustré par des vignettes ou des pleines pages en N&B montrant généralement les couvertures des ouvrages évoquées dans le corps du texte. Il y a aussi 4 pages couleurs au début. Le tout est complété par une courte bibliographie (deux pages écrit gros), un index et quelques publicités pour d'autres ouvrages de même éditeur.

L'étoile en exil (FN 1969).jpg

Comme il y a pas mal de choses à dire, je vais tenter d'organiser mes remarques d'une façon un peu synthétique, en plusieurs points.

1) Où la passion du recyclage l'emporte :

Etant un garçon radin, ma première réaction a été de voir ce que j'obtenais pour mes 28 Euros, sachant qu'au départ l'ouvrage n'est pas physiquement d'une aussi belle qualité que ceux du même éditeur sur Anderson ou Heinlein (le premier étant à peine plus cher). Je m'attendais donc logiquement à ce que ces 28 Euros soient investis dans des efforts de recherche et d'écriture, mais il est vrai que j'étais un peu naïf vu que l'un des ouvrages précédents de Ruaud pratiquait déjà l'auto emprunt. Pour être clair, cet ouvrage fait plus penser à un patchwork qu'à une étude originale.

En effet, on constate que la préface de Klein est une reprise de 1992, que plusieurs (au moins Harness, Clement, Biggle, Kapp, Panshin) des chapitres du duo Ruaud/Amalric sont déjà parus dans Bifrost (où ils formaient la série des "petits maîtres de la SF"), que un des articles de Wagner (celui sur Thirion qui est aussi le plus long du livre) et celui de Vonarburg (sur La Plaie) viennent du recueil d'essais Le feu aux étoiles, que Brèque sur Anderson est un chapitre complet tiré de Orphée aux étoiles, sans parler d'emprunts non signalés comme des paragraphes entiers extraits tels quels de la postface de Ruaud au Chandler paru chez les moutons ou RAH chez le même éditeur (là, l'emprunt est toutefois signalé). Je ne parle pas des choses que je n'ai pu vérifier par pure flemme comme les possibles emprunts au Star Trek de Ruaud (encore) ou au Perry Rhodan de Archaimbault.

Le feu aux étoiles.jpg

Même si l'écologie et le recyclage sont à la mode et que ce léger détail est partiellement mentionné page 411 (en petit), je dois avouer une vague impression de m'être fait refiler des vieilleries au prix du neuf. Sentiment d'autant plus aigu que les "versions différentes" que l'on nous indique page 411 ne le sont en réalité que de façon minime. Les changements résidant essentiellement au niveau des introductions ou des transitions, le corps du texte restant strictement identique (et donc assez daté). Les seuls changements que l'on peut voir (j'ai comparé les textes entre eux) sont aussi profonds que, par exemple pour le Thirion, le remplacement de 60 par 1960 (au milieu de la première colonne de la deuxième page) ou le changement d'une référence pointant vers les article de Rémi Maure sur les arches stellaires vers (surprise) un texte de AFR himself. Il y a mieux puisque l'un des rajouts que j'ai pu détecter consiste à insérer des erreurs, comme page 279 où l'on nous dit en 2009 que le seul recueil de Kapp s'appelle Lambda 1, un élément omis dans l'article correspondant de Bifrost, ce qui n'était pas plus mal vu que Lambda 1 est en fait une anthologie qui ne contient qu'un texte de Kapp.

Il n'est bien sûr pas interdit de recycler son propre travail, mais à ce tarif, j'avoue que j'aurais préféré payer pour de l'inédit et non pour du réchauffé à la va-vite.

Cageworld Search for the sun ! (NEL 1982).jpg

2) Une histoire du SO par collage ? 

En toute logique, l'option prise de principalement réutiliser des textes existants a des impacts radicaux sur l'essence même de l'ouvrage. On a l'impression du glissement progressif d'un projet qui était une louable histoire du Space Opéra vers une compilation d'éléments existants plus ou moins libres de droits pour les auteurs (leurs propres textes par exemple). Au lieu d'une démarche historique classique et globale ("le SO commence là, puis il est devenu comme ça sous l'influence de XXX ou de telle ou telle chose...") on a une démarche de récupération ("Quels textes on pourrait utiliser qui ont un vague rapport avec le SO ?") qui se trouve donc fortement contrainte par les matériaux disponibles.

Orphée aux étoiles.jpg

Du coup, hormis dans les quelques chapitres sur des médias particuliers, il n'y a strictement aucune HISTOIRE du SO, aucune mise en perspective globale puisque la base du livre est une compilation de portraits d'auteurs. Par exemple, à aucun moment on ne sait quand a commencé le SO ou quelles sont les forces (économiques, éditoriales, sociétales...) qui l'ont façonné. Comme Ruaud n'avait pas fait d'articles sur eux, on se trouve face à un ouvrage sur le Space Opéra qui ne mentionne même pas des personnages aussi importants dans son évolution que Campbell (l'auteur), Leinster, Saberhagen ou Dickson (et on peut aisément en trouver d'autres).

Cette stratégie du recyclage nous vaut d'ailleurs quelques moments embarrassants où les auteurs peinent à justifier certaines inclusions comme Hal Clément ou Doctor Who, des éléments généralement peu associés d'une façon centrale avec le SO, le tout donnant lieu à des contorsions assez impressionnantes. Cela marche aussi dans l'autre sens avec les justifications alambiquées à l'absence de Vance ou Herbert ("c'est du Planet Opéra"). Le meilleur étant l'article sur Kapp dont la moitié finale traite de Manalone. Cette partie (La grande oeuvre, page 283) commence par dire clairement que ce roman n'est PAS un Space Opéra mais déroule quand même plusieurs PAGES de commentaires sur une oeuvre qui est, de l'aveu même des auteurs, complètement hors sujet.

Manalone (OPTA 1982).jpg

3) Une iconographie riche et rare ? 

C'est ce qui est écrit sur le premier rabat et c'est aussi l'un des pitch de la promotion de l'ouvrage. Effectivement, s'il y a bien une importante iconographie (plusieurs centaines d'images), elle souffre, à mon avis, de nombreux défauts.

Il faut dire que cela commence mal puisque les seules images en couleurs sont horriblement coupées (à dessein j'espère) et ne présentent que un petit quart des oeuvres originales. Le reste des illustrations étant en N&B on peut regretter que ces rares pages couleurs soient si mal utilisées. D'autant plus que cette absence de couleur et le traitement style "vignette" nuisent à certains illustrateurs, voir par exemple la comparaison de l'image ci-dessous (pourtant fortement compressée) et celle de la page 295 :

Stardeath (Del Rey 1983).jpg

On regrettera aussi l'absence quasi-totale de légendes en regard des illustrations (une habitude chez les Moutons) qui prive le lecteur d'éléments importants comme la date de parution puisque l'on ne représentait pas le SO en 1930 comme en 2000 et que ces choix sont eux-mêmes porteurs de sens sur (par exemple) l'image du genre auprès des lecteurs. Il est assez triste de voir que les illustrateurs ne sont presque jamais mentionnés, cette utilisation gratuite et non créditée de leur travail dans un produit destiné à être vendu me paraît assez désinvolte. De même, la qualité des ouvrages scannés laisse parfois nettement à désirer. Il arrive que l'on ne se soit même pas donné la peine d'ôter l'étiquette du prix apposée par un bouquiniste (par exemple sur le Brunner page 221), d'enlever des traces de colle ou de trouver un exemplaire dans un état décent.

Voilà pour la richesse, quant à la rareté, je peux juste dire que sur le millier de couvertures je dois facilement en avoir 75% (y compris en VO) et que je n'y ai vu que rarement des EO ou beaucoup de choses que l'on puisse qualifier de rares tant il y a de FNA, JL et autres PdF.

N'écoutant que mon bon coeur, si vous m'envoyez 28 Euros, je m'engage à vous faire parvenir un CD contenant plusieurs milliers d'images toutes aussi riches et aussi rares que celles contenues dans ce livre.

The altar on asconel (Ace Double M-123).jpg

4) Et c'est tout ?

Soyez rassurés, cet ouvrage pêche aussi dans de nombreux autres domaines.

On a tout d'abord la séquence publicitaire de l'éditeur qui réussit à placer presque tout son catalogue (je n'ai pas vu le PKD), y compris les zombies et même, grâce à une association d'idée fulgurante (Schmitz => médiéval => taverne => Shakespeare) Le panorama de la fantasy et du merveilleux (page 154).

On a aussi les coquilles (ClarkE Darlton, le frère d'Arthur), photes d'orthographe, notes inversées ou scories typographiques (des mots barrés) que l'on attend de cet éditeur.

Dans le même ordre d'idée, le sens si particulier de la chronologie de ces auteurs est aussi au rendez-vous avec des mentions de textes datant de bien après 1977, et (encore une surprise) l'habituelle mention de James Patrick Kelly.

Globalement, il vaut mieux parfois ne pas trop creuser les détails quand on lit des affirmations disant que (ce ne sont que quelques exemples) : The immortals de Gunn n'est pas traduit, que seulement trois nouvelles de Biggle existent en VF, que Van Vogt faisait partie de la Scientologie, que l'intégralité de Interstellar empire (Brunner) est parue en Ace Double ou que Karres (Schmitz) est traduit par Karès en VF. Autant de points, certes négligeables mais que quelques secondes suffiraient à corriger et qui, laissés tels quels, donnent un peu au cochon de payant l'impression d'un travail bâclé.

Les immortels (PC 1977).jpg     Les immortels (Le Masque 1978).jpg

Dommage pour une idée qui, traitée d'une façon un peu moins à l'économie, aurait fourni matière à un livre passionnant. Au final, les 28 Euros demandés sont largement prohibitifs pour la proportion réelle de matière inédite (même si certaines parties comme celle sur Doctor Who sont bien faites) et l'impression d'amateurisme de l'ensemble.

Note GHOR : 1 étoile (pour ceux qui n'ont pas accès au matériau original)

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