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15/09/2009

_D'Asimov à Tolkien : Cycles et séries dans la littérature de genre_

D'Asimov à Tolkien : Cycles et séries dans la littérature de genre : Anne BESSON : CNRS Editions (série "CNRS Littérature") : 2004 : ISBN-10 2-271-06277-2 : 250 pages (y compris bibliographie et index des oeuvres du corpus) : 24 Euros pour un TP.

D'asimov à Tolkien.jpg

Cet ouvrage a pour but de se pencher sur les phénomènes de cycles (ou de séries) dans la littérature. Même si c'est un concept assez ancien, Anne Besson a fait le choix de l'étudier dans le contexte des littératures de genre (c'est à dire tout ce qui porte une étiquette). En effet, ce mode de production et de consommation y est particulièrement fréquent au sein du genre policier et, ce qui nous intéresse ici, dans l'ensemble SF&F&H. Au travers de l'étude d'un petit nombre de cycles (pour la SF : Dune, Fondation, Hyperion, Ekumen & Mars, pour la Fantasy et genres associés La tour sombre et La Terre du milieu) l'auteur va tenter de mieux cerner ce phénomène.

Hyperion (Bantam 1990).jpg

Cet essai est divisé en deux parties principales. La première, composée de deux chapitres vise d'abord à poser les définitions des termes employés (cycle, série, saga...), qui sont souvent (y compris par moi) employés par facilité comme plus ou moins synonymes. Ce premier point étant acquis (cycle=continuité, série=discontinuité) et comme dans la pratique les séries pures sont actuellement assez peu fréquentes, le deuxième chapitre détaille les méthodes de construction propres aux cycles. Si la première partie se plaçait plutôt du côté de la production du texte, La seconde est plus centrée sur la réception du texte par les lecteurs. A la fois par l'évaluation des stratégies de lecture suivant le points d'accès initial à l'ensemble que par l'exploration des thèmes du temps et de la mémoire qui sont physiquement liés à l'acte de lecture d'un cycle. Une bibliographie primaire et secondaire conséquente ainsi qu'un index complètent l'ouvrage.

The fall of Hyperion (Doubleday 1990).jpg

Voici un essai qui fait plaisir à lire et qui montre que la cause des "SF Studies" n'est pas forcément complètement perdue dans le monde universitaire français. Bien sûr, je n'ai guère d'avis très dévelopé sur la partie (un gros tiers) de l'ouvrage consacrée au domaine du polar, mais celle traitant de la SF est d'un très bon niveau. On voit clairement que le travail nécessaire a été fourni (la bibliographie secondaire l'atteste) et le résultat est parfaitement clair dans ses définitions et complètement en accord avec mon expérience de lecteur.  Un livre qui se lit d'une traite et qui évite généralement le jargon spécialisé de l'analyse littéraire, ce qui est normal vu que la problématique des cycles est aux confins de plusieurs domaines (créatif mais aussi éditorial ou tout simplement économique). C'est d'ailleurs l'aspect économique qui est le plus mal loti puisque les motivations de cet ordre sont assez peu évoquées alors qu'elles sont, dans certains cas, centrales et qu'elles sont de toute façon la sanction ultime de ces ensembles littéraires.  Si Campbell force littéralement Asimov à lui écrire Second foundation, ce n'est pas par amour de l'art mais bien pour relancer la machine Astounding suite à la désaffection des lecteurs pour le genre juste après la 2GM.

Endymion (Headline).jpg

Le seul bémol que je ferais est que divers indices laissent penser que Besson n'est pas vraiment une spécialiste du genre ce qui peut parfois parasiter son discours. Le classement de la série Ekumen/Hain entre SF et Fantasy, un mode d'analyse du pourcentage d'oeuvres appartenant à des cycles dans le catalogue J'ai Lu au pur pifomètre ("...faute d'une connaissance personnelle de toutes ces oeuvres...") ou des approximations bibliographiques (des nouvelles oubliées chez Robinson, des dates de parutions originales fausses, des éléments de cycles omis...) sont révélateur d'une connaissance assez limitée du genre, une connaissance que le faible nombre (et la qualité parfois passable) d'ouvrages de référence sur la SF consultés (ou du moins cités) n'a visiblement pas permis d'augmenter significativement (c'est d'ailleurs une impression que j'avais aussi eue en lisant Langlet). Du coup, et sans critiquer la qualité du livre et de travail de l'auteur, on se dit que cet édifice est peut-être bâti sur un nombre trop limité d'exemples et qu'il aurait peut-être gagné encore en qualité en prenant en compte un échantillonnage plus vaste. En effet, Besson ne cite et n'utilise qu'une grosse douzaine de cycles de SF (en gros les plus connus sauf peut-être le Effinger) alors que n'importe quel amateurs de SF est capable d'en évoquer plusieurs centaines.

The rise of Endymion (Headline 1998).jpg

Malgré le point évoqué plus haut et le fait que la convergence que l'on peut constater (sous l'influence de l'écriture télévisuelle) vers une forme hybride des deux types (le cycle et la série) étudiés peut avoir tendance à brouiller la typologie mise en place par l'auteur, cet ouvrage est à la fois une mise au point très intéressante et une acquisition obligatoire pour tout amateur du genre.

 

Note GHOR : 3 étoiles

Commentaires

Bonjour,

Je plussoye fortement à votre analyse ! Ce livre est une rareté au sein de la production universitaire française. Il faut espérer qu'il fera des émules.

Je rejoins également votre analyse quand vous pointez la modestie de son corpus de sources comme la quasi-absence de références venues des SF Studies (les habituelles signatures de l'école québecquoise exceptées).
Aucune mention des travaux de Slusser, Rabkin ou Wendland. Ni même de Genefort (thèse non dénuée de naïvetés mais qui aurait mérité une petite discussion en note de bas de page...).
Par contre ne manquent pas à l'appel tout le bataillon des "para-littérateurs"(Boyer,Couégnas) l'indéboulonable Todorov et les narratologues/sémioticiens habituels (Ryan,Pavel,Eco,Genette,Schaeffer).
On est également frappé par l'antiquité incongrue de certaines références (que vient faire Éliade dans un travail récent alors que la mythocritique de Brunel et Durand a charrié une immense littérature ?).
Ces petites insuffisances ne tiennent peut-être pas tant au caractère condensé de l'ouvrage (qui résume une thèse soutenue en 2001) qu'à sa destination même. Il partage en effet avec le brillant manuel de Langlet le même prisme académique qui faisait récemment dire à G.Klein (dans une discussion sur un forum connu) que ces travaux, certes brillants, laissaient la désagréable impression d'un savoir théorique plus ou moins artificiellement plaqué sur le "genre".

Les "littératures comparées" à la française sont encore loin d'avoir formalisé une branche autonome consacrée aux SF Studies, avec ses méthodologies herméneutiques propres, ses courants et traditions.

Paradoxalement, cette absence d'ancrage dans une tradition herméneutique particulière est peut-être ce qui rend la lecture d'Anne Besson aussi agréable. Peu de jargon, si ce n'est celui de la narratologie générale, et encore...La visée interdisciplinaire de la thèse de Besson convoque autant les narratologues que les sociologues des médias, l'esthétique de la réception ou la mythopoètique. D'où un "lissage" des concepts qui rend la lecture de l'ensemble assez fluide.


C'est là une qualité assez rare au sein de l'Académie pour être applaudie (a contrario le site Fabula.org donnera quelques exemples contraires). Mais, j'avoue rester sur ma faim. J'aurais aimé par exemple que l'esthétique de la réception ne se limite pas à la vulgate ancienne de Jauss mais investisse plus profondément les mécanismes de la xéno-cyclopédie. De ce point de vue le manuel de Langlet (puissamment articulé par les lectures de Saint-Gelais et de l'école québecquoise) constitue un complément bienvenu. Le "lecteur" de cycle reste encore une ombre chinoise dont on décèle mal l'activité cognitive et sociale. Il y avait pourtant dans l'étude des fandoms et des transfictionnalités de quoi faire.



C'est d'autant plus regrettable que Besson souligne très justement l'importance des cultures hypermédiatiques et de l'intermédialité puissante qui innerve certains cycles. C'est peut-être là mon plus grand regret, et il ne s'adresse pas qu'à Anne Besson. La "littérature comparée" hésite encore à franchir le pas de l'écrit et laisse aux spécialistes de la communication le soin d'étudier les rapports entre l'écrit et les autres médias. Je comprends bien que cela répond à des contraintes institutionnelles (l'insupportable cloisonnement disciplinaire). Mais au lieu de se perdre dans une typologie utile mais fragile entre la série et le cycle, peut-être aurait-on gagné à inscrire cette réflexion dans le cadre plus large de la "subculture" SF et la diversité de ses relais médiatiques. Décaler son regard de l'auteur à l'éditeur, et du livre au lecteur est l'un des points forts du livre. Mais pourquoi ne pas poursuivre dans l'enquête ? Le lecteur n'est-il pas aussi un spectateur, un joueur voire un créateur ? La conjonction entre le développement quantitatif de la production cyclique et la systématisation des tie-in (oeuvres et produits dérivés) tient-elle du hasard ? Il y aurait là de quoi approfondir la typologie esquissée plus haut et redéfinir à nouveaux frais les concepts encore discutables de "livre-univers","monde secondaire", "roman-monde" ou "monde possible".

Ce regret exprimé (et je sais qu'A.Besson s'intéresse pourtant à ces problématiques si j'en crois son excellente communication dans Belphégor), je n'hésite pas cependant à dire qu'il s'agit là d'un travail fondateur et sans beaucoup d'équivalents en langue française. Sa lecture reste donc plus que recommandable et mérite les 3 étoiles du Ghor.

Écrit par : Askaris | 15/09/2009

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